un chantier documentaire par Adeline Rosenstein
Je puis simuler la soumission, je puis simuler la trahison. Je recours à ce qui est traditionnellement considéré comme l’arme des faibles, la ruse. Mais pour que ma ruse prenne, il est indispensable que j’appâte l’ennemi. Or l’ennemi se méfie : il exige des preuves tangibles. Je dois lui donner des gages réels pour rendre ma simulation crédible. Toute simulation oblige donc à des compromissions. La ligne de démarcation entre l’ami et l’ennemi se brouille : si l’ennemi peut croire que je suis passé de son côté, l’ami peut le croire aussi. (…) Il arrive que le simulateur, tenu en ostracisme par ses anciens amis, traité affablement par ses anciens ennemis, en arrive à ne plus savoir lui-même dans quel camp il se trouve.
Jean-Michel Chaumont, « Survivre à tout prix ? Essai sur l’honneur, la résistance et le salut de nos âmes » La Découverte 2017
Un groupe de jeunes gens s’engage dans une lutte clandestine.
Face à une répression violente, la fermeté de leur engagement est éprouvée. Certaines informations données entraînent des arrestations en chaîne. Entre trahir ou se tuer, existe-t-il une alternative ?
Quel est le prix du silence ? Quel est le prix de la ruse ?
Il est délicat d’évoquer des erreurs commises dans une lutte sans sembler dire : ça se passe toujours comme ça. Un théâtre qui exposerait les épisodes les moins glorieux d’une lutte semble vouloir montrer du doigt, dénoncer, salir une mémoire déjà trop peu connue. N’est-on pas tenté, dès lors, de passer sous silence certains faits ?
Combien le théâtre documentaire supporte-t-il de nuance et de complexité ?
On sait par exemple que le recours au jeu d’acteur et à la contrefaçon, nécessaire à toute résistance, peut se retourner contre le joueur ou la joueuse; à trop faire semblant de collaborer, on peut devenir collabo. Que ce soit dans la clandestinité ou face à la torture, puis, face à la demande sociale de héros purs et de récits nationaux simples, le libérateur n’est-il pas condamné à la feinte, au silence, à jouer la comédie ? Combien de singerie dans toute bravoure ? Quand la feinte devient-elle synonyme de couardise ? Serait-ce la raison pour laquelle il semble si facile de procéder à des purges, après les victoires? Le fait d’avoir su jouer la comédie « face à l’extrême » ne transforme-t-il pas tout héros en menteur professionnel et donc… en traitre potentiel ?
Le théâtre peut rendre sensibles les nuances entre différents silences : ceux des bourreaux, des collabos, des héros aussi.
Le laboratoire Poison voudrait être un espace d’observation de la façon dont bascule notre jugement moral sur tel ou tel personnage ou notre appréciation de tel ou tel fait historique documenté :
Je m’informe sur une prison, un détenu, j’observe la violence qui s’exerce sur lui, j’observe sa conduite, là, je l’admire, là, je le plains, là, je veux encore l’excuser mais je ne sais plus trop quoi penser, et là, franchement il me dégoûte, c’est-à-dire que je pense : « tu aurais mieux fait de te tuer, dommage qu’on ne t’aie pas donné de capsules de poison ».
A quoi tient ce basculement, à quels effets, à quels détails ? Qu’est-ce qui nous fait distribuer le poison? Qu’est-ce qui nous fait commencer à haïr, cesser de pardonner ?
Le projet «Laboratoire Poison» est une recherche sur les façons de représenter les défaillances d’un mouvement de résistance sans décrédibiliser toute résistance. A travers l’évocation des traitres, il tend à renouveler notre respect et notre désir de mouvements résistants.
Comment juger les délations arrachées par les coups et la torture ? Apparemment choquante, la question s’autorise de l’existence historique de codes de conduite et d’instances de jugement qui obéissent à des logiques compréhensibles. Comment aujourd’hui mettre en forme, notamment théâtrale, ces réalités historiques méconnues et permettre au public d’expérimenter tout à la fois la difficulté de juger et la nécessité de le faire ? Comment ces questions bousculent et vivifient à la fois nos représentations de la Résistance et de ses figures ?
En conclusion de la création au Théâtre de la Balsamie, nous vous proposons une table ronde le samedi 2/02 de 17h à 19h.
Quatre invités pour traiter ces questions :
José Gotovitch, historien, directeur scientifique du Centre des Archives communistes en Belgique (Carcob).
Jean-Michel Chaumont, sociologue, professeur à l’université de Louvain.
Markus Meckl, historien, professeur à l’université d’Akureyri.
Cécile Vast, historienne, Docteur en histoire, chercheur associé au Laboratoire de recherches historiques Rhône-Alpes (LARHRA-UNR 5190).
Cette table ronde est proposée avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans le cadre du décret Démocratie ou Barbarie.
Conception, écriture et mise en scène
par Adeline Rosenstein
Avec
Marie Alié, Brune Bazin, Olindo Bolzan, Ninon Borsei, Léa Drouet, Rémi Faure, Isabelle Nouzha, Titouan Quittot, Martin Rouet et Thibaut Wenger
Espace
Yvonne Harder
Eclairage, construction et direction technique
Caspar Langhoff
Composition sonore
Andrea Neumann
Création masques
Rita Belova
Création costumes
Anna Raisson
Regards scientifiques
Jean-Michel Chaumont
Assistante à la mise en scène & dramaturgie
Marie Devroux
Assistante éclairages et régie lumières
Mélodie Polge
Régie son
Brice Agnès
Construction
Caspar Langhoff et Jean-Simon Desjonquère
Administration de production
Manon Faure
Direction de production
Leïla Di Gregorio
Photographies
Serge Gutwirth